Impressions et souvenirs, janvier 2007

C’est à la suite de notre demande, qu’en janvier 2007, Mr. Michel GUILLEMAIN a écrit ce magnifique texte qui fait partie de la série « l’Arnon et sa Vallée ».

 

Mr. GUILLEMAIN a transcrit ses impressions du moment, en s’appuyant sur une connaissance plus que complète de la région et sur des souvenirs précis de son enfance au cours de laquelle il a commencé à parcourir tous ces lieux et chemins qu’il affectionne et qu’il entend sauvegarder.


Le très beau dessin à la plume réalisé en 1923 par son père, Mr. Henri GUILLEMAIN, est là pour témoigner encore plus de la mémoire de ce lieu que nous souhaitons vous faire découvrir maintenant.

 

Un grand merci à eux deux.

 

 

Latteindre est un art, dont le succès désigne le véritable amoureux de l’Arnon, car bien des autochtones eux-mêmes sont incapables d’aller au Moulin des Fougères, et à plus forte raison de renseigner le promeneur qui s’est donné ce site pour but. 

On peut évidemment remonter la rive gauche de l’Arnon, à partir de la Planche Noire ou la descendre depuis le Pont des Chetz. Il faut être alors sûr de ses moyens physiques car les rochers qui plongent dans la rivière imposent escalades et descentes que la végétation et nombre d’arbres abattus compliquent. Du moins, dans les ronciers, les basses branches et les trahisons d’un humus mal assuré, l’esprit ne se fatigue-t-il pas !

Heureusement, il y a plus subtil et moins fatigant.

Laissant le chemin qui longe, entre le hameau des Fougères et les arrières de Villers, les terres cultivées et les pâtures, il faut enjamber quelques clôtures et dévaler dans la bruyère, entre les barres rocheuses et les pins sylvestres. Mais où ? Quel cap choisir ? Que faire si un rocher de méchante humeur vous déroute alors que la végétation vous interdit tout repère sur le versant opposé ?

C’est alors qu’on peut parler d’art, ou d’intuition, qui n’est après tout qu’expérience bien assimilée. Déceler dans un replat une trace de l’ancien chemin, juger à quelques pierres qu’on a atteint le bief, et surtout comprendre qu’on se trouve en amont ou en aval du moulin.

 

Le premier pan de mur est là, qui est alors une récompense. Il faut lever les yeux à temps car le fouillis des arbres tordus, des ronces et des scolopendres se fond dans une lumière glauque, effaçant les indices et brouillant les perspectives, surtout quand le soleil perce le couvert et impose ses touches de contre-jour dorées, brutales et exclusives ; il condamne alors tout ce qui n’est pas lui à se perdre dans une gamme de bleus violacés et profonds.

Le moulin n’est pas très vieux : on le voit apparaître au XVIIIème siècle seulement et comme il n’entrait pas dans les circuits de l’économie seigneuriale, on ne sait rien de lui. La plupart de ses bâtiments, à en juger par l’emploi de briques industrielles, ne datent que du XIXème siècle.

Comme bien d’autres moulins, il n’a pas supporté l’entrée dans le XXème siècle. 

Le chemin était praticable et un de ses bâtiments encore couvert dans les années 1940 ; on dit qu’alors, bravant les interdictions du temps, la jeunesse y allait danser°°°.

 

 

Pour autant, l’endroit n’est pas mort aujourd’hui, car la rivière est là, insistante et proche. En aval, quand le déversoir asséché rejoint la rivière, peu avant l’à-pic d’un grand chaillot* et les chablis** des hivers passés, un gué souligné de grosses pierres joint la rive berrichonne de l’Arnon à sa rive bourbonnaise. Là surgit un ruisseau dont quelques éboulis contrarient le cours ; ruisseau et gué s’accordent pour faire sursauter l’eau brune et lui rendre la vie qu’elle semblait avoir perdue sous les souches noires de la rive bourbonnaise.

 

Revenir d’un tel lieu, revenir du Moulin des Fougères sans truite est plus qu’anormal : c’est injuste !


*    chaillot : grosses pierres, rochers.

**  chablis : enchevêtrement d’arbres, de bois, abattus par une tempête.

 

°°° : plusieurs personnes qui ont connu cette période de la guerre 39-45, confirment le fait, encore aujourd’hui. Malheureusement, la mémoire fléchissant avec les années et la longue période d’abandon du moulin par la suite, ne permettent plus de définir avec exactitude le bâtiment utilisé : moulin ou maison du meunier ? Il semblerait que ce soit plutôt la maison du meunier, située à mi-pente et, beaucoup plus récente que le moulin lui-même. 

Ces mêmes personnes, nées entre 1915 et 1925, disent n’avoir jamais vu le moulin fonctionner.