Voici le document le plus ancien en notre possession, sur le Moulin des Fougères.
Texte tiré du « Recueil de Souvenirs » de Jean REGNIER, né en 1854, jeune instituteur rural de la IIIème République, en poste à Sidiailles de 1877 à 1882.
(source : CAHIERS D’ARCHEOLOGIE et d’HISTOIRE du BERRY, n° 42, de septembre 1975).
…………………………..
|
Un jour, je me rendis dans un moulin situé sur l’Arnon, et dont on m’avait souvent parlé : le Moulin des Fougères. Après avoir suivi un chemin assez mal entretenu et où on voyait la trace des roues de voitures, j’arrivais près des rochers qui bordent le cours d’eau. J’entendais le tic-tac d’un moulin, mais je n’apercevais aucune construction. M’étant avancé jusqu’au sommet des rochers, je vis à mes pieds une maison de peu d’importance qui ne pouvait être que le moulin que je cherchais. Je descendis au fond de la gorge et je rencontrai le meunier qui venait à ma rencontre. Il me fit visiter son moulin qui contenait une paire de meules et il m'expliqua, en me le montrant, le mécanisme qui existait. |
|
La mouture qu‘il obtenait était des plus rudimentaires. Son travail consistait simplement à écraser le blé. Les clients auxquels il livrait ce produit obtenaient ensuite la farine en passant cette mouture dans de petits moulins-blutoirs installés chez eux. Ce travail de meunerie était plus considérable qu’au temps où nos ancêtres broyaient les grains de blé sur une pierre creusée, à l’aide d’un pilon également en pierre, mais la mouture était la même.Le moulin–blutoir* dont je viens de parler n’existait même pas partout et bien souvent j’ai vu passer la mouture sur un tamis qui laissait échapper la farine un peu grosse tandis que le son restait dessus.C’était là, en un mot, le travail exécuté par les moulins à vent que j’avais vus ailleurs. |
Mais tout cela formait la partie la plus facile. Il s’agissait ensuite de conduire les sacs de farine chez les clients. Or le moulin était inaccessible aux voitures qui, ainsi que les animaux, étaient remisées dans le haut. J’interrogeai le meunier à ce sujet. « Vous allez voir, me dit-il, à l’instant comment je procède pour sortir d’ici mes produits. » Il fit alors sortir d’une écurie un âne gris sur le dos duquel il déposa un bât. Il chargea ensuite la bête d’un sac plein qui fut conduit par un sentier tortueux jusqu’à la remise qui abritait les voitures et où se trouvait l’écurie des chevaux. |
|
|
L’âne revenait ensuite au moulin chercher un autre sac, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il y eût en haut un nombre de sacs propre à former le chargement de deux voitures. L’attelage partait alors, sous la conduite du meunier, dans les différentes maisons où la farine devait être livrée. En voyant cette industrie si primitive, il me semblait que je revenais à mille ans en arrière, et je n’aurais pu croire que dans un même département on pût voir le même travail exécuté de si dissemblable façon. La famille insista beaucoup pour me garder à dîner, mais il ne me fut pas possible d’accepter, tellement je craignais de ne pouvoir sortir de ce lieu si la nuit m’y surprenait. Je promis de revenir un autre jour et je partis au plus vite en me demandant comment une famille pouvait passer sa vie dans un lieu si sauvage, en exécutant un tel travail.
* bluter : séparer la farine des semoules et des sons à l’aide d’un tamis ou d’un blutoir.
|